L’expérience de mes règles n’a pas toujours été positive, avant de prendre la pilule j’avais beaucoup plus de douleur. Mais si je souhaite écrire maintenant, c’est que rarement les paroles autour de moi laissent entrevoir ce que peut avoir d’agréable ou de surprenant ou encore de complexe le rapport avec les menstruations, avec ce sang qui coule entre nos cuisses et qu’il faut cacher. Dès la puberté les règles nous sont expliquées comme un fardeau qu’il nous faudra endurer jusqu’à la ménopause. Le mot expliquer je ne devrais même pas l’utiliser parce qu’on en apprend si peu sur le cycle menstruel et les sensations qui s’y rattachent. Même entre femmes nous n’en parlons pas. Je crois que la personne avec qui j’en ai le plus parlé est une amie transexuelle qui s’interrogeait sur les sensations qu’avaient les femmes à l’intérieur de leur vagin. Elle m’a fait réaliser qu’en fait nous sommes souvent coupées, privées de ces sensations, qu’on ne leur prête pas de mots.
Voilà, pour moi les règles sont associées à un moment de repli vers mon corps, un moment où je ressens le besoin de prendre soin de lui. Envie de solitude, de chaleur, de rester couchée dans mon lit avec un livre et d’écouter la pluie. J’aime garder une main sur mon ventre, comme si je pouvais sentir de l’extérieur, ou protéger ce qui s’y passe. Je goûte ce repos. Je les sens arriver les règles, s’installer dans mon ventre. Plus sensible qu’à l’ordinaire, je ris de mes bouleversements devant de mauvais films. Avant je ne comprenais pas, je m’en voulais de mes tristesses pour rien, maintenant je les laisse venir et repartir, je les laisse me traverser et me faire vivre quelque chose de différent de l’ordinaire. Le sang m’empêche d’oublier mon corps, il coule tandis que je travaille, que je vis, il me tiraille le ventre, me rappelle quand je suis fatiguée, se dépose raide dans le bas de mon dos et me dit que je dois m’asseoir un instant.
Avant mon burn out, mes règles étaient devenues plus douloureuses. Et enrageantes. J’enrageais de ne pas avoir le temps de les vivre. Elles arrivaient et réclamaient le coocooning, le bon livre, la main sur le ventre, et je n’avais ni temps, ni énergie pour leur répondre, alors elles me passaient dessus et me laissaient encore plus fatiguée. Bien sûr elles avaient raison, ces règles qui réclamaient que je m’arrête.
Mon copain, quand je lui annonce que je vais avoir mes règles, il me regarde avec compassion. Je n’ai pas encore réussi à lui faire comprendre ce que cela signifie, que j’ai envie de rester collée sur lui, au chaud, avec sa main posée sur mon ventre, pas parce que j’ai mal, mais parce que c’est bon! J’aime faire l’amour lorsque j’ai mes règles, une chaleur m’irrigue de l’intérieur et j’ai l’impression d’être plus proche de lui, de fusionner avec sa peau.
Lourd, distendu, c’est ainsi que je sens mon ventre, comme s’il prenait de l’expansion par rapport au reste du corps. Les sensations de l’intérieur, je ne sais pas encore comment les décrire. Ce ne sont ni les sensations de la vessie, ni celles de la digestion, ni simplement de la douleur. C’est un territoire au cœur de mon corps que les mots n’ont pas défriché, un territoire de silence médical et social.