
J’ai mis du temps pour me décider à écrire, très longtemps même. J’ai d’abord lu beaucoup de témoignages postés ici, et je me suis trouvée ridicule, avec mes cicatrices, mes blessures. Comment ne pas paraître dérisoire devant des corps de mères sans plus jamais d’enfants dedans, des corps meurtris par le cancer, la maladie ou la greffe ? Puis je me suis dit que, peut-être, l’acceptation de mon corps passerait par l’écriture, par la confession de soi.
Je ne m’accepte pas à la piscine mais derrière mon écran, tout semble tellement plus simple…
Il faut dire que j’ai commencé jeune, un peu boulote, un peu à la limite des courbes, celle qu’on appelle la vache ou le thon. La bonne copine un peu chiante et très autoritaire. Celle qui ne plaît pas, qui n’aura jamais de relations amoureuses, la vierge de bientôt vingt ans.
Très rapidement, mon corps se fait patchwork, une lèvre écorchée, un bout de crâne ouvert, de multiples entorses, une jolie fracture et une appendicite. Je deviens la miss cata, la petite boule qui ne tient pas debout.
12 ans, mon esprit d’enfant habite un corps d’adulte, les vergetures deviennent mon quotidien, elles strient mon corps, s’étirent, comme autant de griffes violettes et ponctuent ma prise de seins, ma prise de hanches, ma prise subite de féminité.
16 ans, ma courbe de poids et passée au dessus de la ligne verte. Le lycée se fait moqueur, vicieux. Mon corps se stabilise, puis se brise. Un cours de danse, Décembre 2009, mauvaise position, mauvaise retenue, le genou hurle, se déplace et me fait faillir.
Dix-sept ans, Avril 2010. La douleur est mon quotidien, je n’inquiète que moi-même, je garde ma douleur à l’intérieur et me réfugie dans la pâtisserie.
Juillet 2010, Sept mois. Peut-être faudrait-il faire une radio, quelques examens ? On écoute ma douleur, sans trop y croire. L’été passe, les kilos restent. Dix de plus, en tout. La douleur aussi. Marcher devient difficile…
Octobre 2010, les examens s’enchaînent, scanner, arthroscanner, radios 3D, chirurgien.
Le 20 octobre le verdict tombe, dix mois après. Mademoiselle, nous allons opérer, c’est congénital. Trois mois de rééducation seront nécessaires, au bas mot. On digère, on se prépare. Pas plus d’informations que ça, quelques consultations et l’entrée en clinique.
29 Octobre, je suis une plante, l’anesthésie ne se dissipe pas, je vogue entre deux mondes et j’adhère à mon lit d’hôpital. L’opération a un jour.
TROCHLEOPLASTIE.
Enfin je vois la cicatrice, elle est immense, rouge, dégoulinant le long du genou. 30 centimètres, rien que ça. La douleur est atroce, insupportable. La morphine ne calme rien, la sophrologie à peine plus. Le quadriceps se tord, la rotule monte, ma haine aussi. Je ne sais plus bouger, ni marcher. Une aide-soignante me met à nu pour me laver, je n’ai jamais été aussi humiliée. J’ai dix-sept ans et un déambulateur à la main. Mes parents, ma sœur, ma famille me manquent, les visites sont déboussolantes, je ne m’alimente plus.
01 Novembre, entrée en centre de rééducation, l’horreur, la peur, la solitude, les pleurs, la séparation, impossible de raconter la douleur ressentie quand votre mère vous « abandonne » là, dans ce lieu sordide, dépendante de tous, pour tout.
Arrivée en salle de kinésithérapie, premier contact froid et apeuré. Mais l’expérience m’aura appris qu’il ne faut pas s’arrêter aux apparences. Là-bas j’ai connu une grande famille au grand cœur. Une kinésithérapeute exceptionnelle qui peu à peu m’a redonné le sourire, la foi et l’usage de ma jambe. Tout à coup ma vie est devenue médicale. Arrêter le lycée l’année du bac, vivre trois mois à l’hôpital, ne vivre que de consultations, de kiné et d’examens. Ici il y a pire que moi, bien pire, bien plus courageux.
Ma vie devient détermination. J’ai dix-sept ans et une priorité dans la vie : remarcher. Personne ne m’avait dit que ça se passerait ainsi, personne ne m’avait prévenue de l’impact que tout ça aurait sur moi, personne ne m’avait dit que je deviendrai une autre sur la table d’opération.
21 Novembre, presque un mois est passé et je retourne chez moi pour la première fois. Désormais, je n’irai à l’hôpital que la journée, de huit à dix-sept heures. J’apprends enfin ce qu’on a fait à mon corps. Ces mots résonnent dans mon esprit : fracture provoquée du tibia, auto-greffe de cartilage, remise en place de la rotule, curage de la maladie.
Si j’avais été bien informée, je n’y serai probablement jamais allée.
31 Décembre 2010, contre toute attente, l’année se finit, l’hospitalisation aussi, je marche depuis Noël sans déambulateur ni béquilles. Je peux quitter ma nouvelle famille, non sans émotions, non sans soulagement. Nous nous reverrons, toi avec ta force de combattre, et toi avec ta belle vie qui t’attends, et aussi toi qui sera bientôt Maman.
Je retrouve le lycée, et la kiné libérale. Je redeviens une bête curieuse, loin des normes de l’hôpital. Je deviens l’absente, celle qu’on ne connaît plus, qu’on à oubliée, ignorée, méprisée. Le tri est vite fait.
15 Mars 2011, je prends la décision d’arrêter la kiné. Mon corps ne peut plus, mon corps ne VEUT plus. Cette cicatrice immonde qui me barre la jambe, pourtant si jolie aux yeux des médecins est un vrai fardeau. J’ai reperdu un peu de ma mobilité et beaucoup de ma vie sociale.
02 Avril 2011, j’ai dix-huit ans depuis la veille, et ma grande famille réunie m’offre la plus belle des surprises, le plus beau des passages à l’âge adulte. Je tiens une heure sur des talons et toute la nuit sur la piste de danse.
05 Juillet 2011, j’obtiens, contre toute attente, mon bac, mention assez bien. Mention « victoire », surtout. Je cache mon corps et son ver de terre sanguinolent sous des pansements, et évite franchement les maillots de bain.
Je ne suis plus fille, je suis cicatrice. Mais pourquoi me plaindre, je marche !
Aujourd’hui je peux l’écrire, je ne suis pas jolie,je ne danserai plus jamais, mes dix kilos ne sont jamais repartis et mon corps est un vrai patchwork. Cinq opérations, la dernière il y a 48 heures. Cinq cicatrices visibles, beaucoup d’autres invisibles.
Je continue de marcher, je réapprends à courir chaque jour. Ma vie sportive se limite à la marche, au cyclisme et à la natation. Je suis incapable de tenir à genoux, de m’accroupir ou de tenir sur ce pied.
J’ai été réopérée en Janvier 2012 pour retirer une partie du matériel planté dans mon tibia. Un deuxième ver blanc sur son frère violet.
Je n’accepte pas mes cicatrices, je n’accepte pas mon corps, mais j’accepte mon histoire chaotique, mon abonnement aux hôpitaux et ma mauvaise réputation de miss-je-me-casse-tout.
La douleur est devenue mon amie, une partie intégrante de ma vie.
J’ai dix-neuf ans, le corps en miettes et le cœur en puzzle mais toute une vie devant moi et toute une famille derrière moi.
Et malgré mes souffrances si dérisoires, je pense chaque jour qu’il y a bien pire que moi, que finalement je ne m’en sors pas si mal.
A.
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