
Tous les jours, même quand ma cicatrice sera moins moche, mon ventre va me rappeler ce drame, cette malchance et ce manque… et pour ça, je le déteste.
Lundi 3 octobre, je suis si fatiguée, je vais me coucher tôt…
J’ai eu une grosse journée au boulot, ma puce de 3 ans est pleine de vie (donc fatigante)… et surtout…je suis à mon 5ème mois de grossesse !
Nous sommes aux anges, dans 2 semaines, j’ai mon écho morpho… on va enfin savoir de quelle couleur peindre la dernière chambre en travaux chez nous, et pouvoir peaufiner notre choix de prénom…. !
Vers 3 heures du matin je me lève, j’ai mal au ventre, une grosse contraction qui ne passe pas, je vais aux toilettes…. Je saigne un tout petit peu…
Je réveille F., il faut aller à l’hôpital. On lève notre puce et on l’emmène chez ma mère qui habite tout près. Pas perturbée la louloute, elle pense que c’est le matin… un gros câlin,
Ne t’inquiète pas ma chérie, on revient très vite.
Arrivés à la maternité, examens d’usage, analyse d’urine, prise de sang… on attend un peu la sage femme et le médecin pour la suite… on plaisante avec F. Tu vois, toi qui te disais crevée tout le temps en ce moment,… le voilà ton congé mater !…
Echographie : on entend le petit cœur de notre bébé… ouf… la médecin a l’air préoccupé, je regarde tout et je vous explique après…. Tout ce que je vois moi c’est un petit cœur qui bat et un bébé qui bouge…
Bon le placenta présente une anomalie, il me semble y avoir trop peu de liquide amniotique et je trouve que votre bébé n’est pas très actif…
Coup de massue… et putain mon ventre qui est dur comme de la pierre et ça ne passe pas… dès que je bouge, je perds du sang…. Sensation dégueulasse de liquide chaud qui s’échappe…par réflexe idiot, je sers les cuisses…. Tu parles !…
Ma tension est trop haute, les résultats de ma première prise de sang tombent… tout le monde autour de nous change de tête… on commence à vraiment vraiment paniquer…
S’ensuit la valse des médecins, obstétriciens, sages femmes, anesthésistes… merde, hier j’allais bien moi, notre bébé m’a donné des coups de pieds toute la journée, je suis allée faire des courses et j’ai préparé un bon repas pour ma petite famille…. Et là on me descend déjà en salle de préparation au bloc….
Puis la valse des nouveaux examens et des phrases chocs :
Mme votre état est très sérieux, hématome rétro placentaire… placenta preavia… il va falloir extraire votre grossesse pour vous sauver la vie… vous êtes bien consciente qu’à ce terme, on ne pourra pas réanimer votre bébé….
Mme, la grossesse s’est arrêtée… plus d’activité cardiaque…
Voici de la morphine… Mr ne vous inquiétez pas… on a réservé toutes les poches de sang nécessaires…
Embolisation des artères utérines… tentative d’accouchement par voie basse…
Transfusion…
Césarienne d’urgence, utérus cicatriciel… conséquences sur d’éventuelles grossesses ultérieures…
Nous sommes en état de choc, je n’arrête pas de pleurer… on a si peur… F. ne me lâche pas la main et ne me quitte pas des yeux… lui aussi est terrifié…
…Ne t’inquiète pas ma chérie, on rentre très vite…
Le personnel est adorable, très prévenant… mais personne ne peut nous dire les mots qui rassurent…
La 1ère transfusion terminée, je pars au bloc pour une tentative d’embolisation des artères utérines…il est 9 heures…
Je suis shootée… l’anesthésiste me rassure… je suis de plus en plus dans les vapes… elle m’incite à m’accrocher à une image agréable… je suis dans les prés, sous le soleil… je ne suis déjà plus enceinte, je porte ma fille dans mes bras… on caresse mon cheval en riant toutes les deux… la chaleur du soleil… le rire de ma fille… la douceur des crins de mon cheval…….. je pars….
Quelques bribes de souvenirs, F. dont je croise le regard apeuré en passant pour changer de bloc…J. on va tout faire pour sauver votre utérus…
…………………..
J’ai un tuyau dans la bouche… je lutte contre la respiration qu’il m’insuffle … je n’arrive pas à ouvrir les yeux… j’ai les mains attachées… Mme vous êtes en réa, c’est l’équipe de nuit… je regarde l’horloge en face de moi… la vache, il est 6 heures du mat’… je comprends plus rien… j’ai toute une journée de black out.
Les heures en réa sont interminables, je me réveille, je lutte contre ce souffle artificiel qui me gonfle la poitrine, je m’étouffe, je me rendors…
J’ai un énorme pansement sur le ventre… j’ai dû avoir une méga césarienne…
Enfin, le jour se lève, visite des médecins Mme on revient vous voir pour vous expliquer, aides soignants qui me brusquent pour me laver… me tournent et me retournent… j’ai mal… je suis branchée de partout… je suis toujours intubée… je peux pas parler…
Enfin, je suis extubée… je tousse… je reprends mon souffle petit à petit…je peux parler…je peux entendre…
Enfin un médecin arrive… Mme je vais vous expliquer ce qui s’est passé…
Vous avez fait un cas grave d’hématome rétro placentaire combiné à un mauvais positionnement de votre placenta… tout a été tenté pour stopper votre hémorragie… tout a échoué…il fallait vous sauver… on a été contraint de procéder à une hystérectomie… Vous avez beaucoup de chance d’être encore là… votre compagnon et votre maman vont arriver d’une minute à l’autre…compte tenu des circonstances, ils pourront rester avec vous tant que vous le souhaiterez…
Je suis sous le choc, je m’effondre sous un torrent de larme… j’ai perdu mon bébé, j’ai perdu mon utérus… je ne suis plus enceinte et je ne le serai plus jamais… j’ai 32 ans…et beaucoup de chance d’être encore là ??? non mais il se fout de ma gueule… !
La suite du séjour est longue et pénible… le monde autour de moi s’est effondré… je dois faire le deuil de mon bébé, le deuil de maternité, le deuil de nos projets de famille…
Tout le monde est adorable, je rencontre une super psy qui m’aide énormément.
F. est un amour, il a eu si peur… il est tellement désolé et attristé… tellement soulagé aussi…
Ma maman, ma famille, mes amis, tout le monde m’entoure d’amour et d’attentions…
Et puis, nous devons faire le deuil de notre petit garçon…
C’est fou comme quand on est parents on a la faculté de trouver notre enfant beau quelqu’il soit… même un mini lilliputien de 330 grammes…
Et puis, il faut expliquer la situation à notre fille…
Et puis, je dois apprendre à apprivoiser mon nouveau ventre…
barré de cette énorme horrible cicatrice qui part de mon sexe et contourne mon nombril pour le dépasser largement… 37 agrafes, d’énormes hématomes… bonjour Mme Frankenstein !
F. lui s’en moque, me prouve me désirer encore, et m’encourage plutôt à l’aimer, à le considérer comme un témoignage de survie, comme un souvenir émouvant de la vie qu’il a un moment porté et qui s’est trop tôt envolée…
On s’aime tellement fort et je suis si reconnaissante de l’avoir ainsi que notre merveilleuse petite fille….
Les jours passent et j’arrive peu à peu à réaliser qu’effectivement j’ai failli mourir et que j’aurai pu perdre tout ça… je m’accroche à cette pensée pour ne pas sombrer.
Hier mon ventre était si tendu et doux, si plein et si mouvant…
Aujourd’hui il est si vide, si douloureux, si laid…
Hier, maman avait un bébé dans son bidon,
Aujourd’hui, maman a un gros bobo à son ventre,
Hier j’étais gaîté, enthousiasme et projets,
Aujourd’hui je suis renoncement, larmes et deuil,
Hier j’étais un vallon verdoyant et fertile,
Aujourd’hui je suis une rivière asséchée,
Hier j’étais mon ventre rond,
Aujourd’hui, je suis ma cicatrice…
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