De nombreuses personnes ont salué mon sourire. Je souris tout le temps. Je ne suis pas de nature râleuse ou boudeuse, et le sourire vient naturellement et pour pas grand-chose. On dit même que je suis photogénique et que je souris constamment sur les photos. Je ne sais pas faire autrement.
D’autres l’ont aussi critiqué. Parce qu’il n’est pas parfait. Les dents sont en avant et l’une de devant part de travers, même après une correction.
C’est au collège que ce complexe a fait son apparition. Moi à cet âge là, l’apparence je m’en fichais pas mal. Ce qui m’importait c’était les copines, l’école, et les trucs de mon âge. Le physique, la séduction et les garçons ne faisaient pas partie de ma vie. Mais à cet âge, on est ingrats et méchants les uns envers les autres. On m’appelait cheval, castor, lapin de garenne. Sois disant pour rigoler. Sans savoir les traces que ça peut laisser en soi, que la confiance peut s’altérer.
J’ai porté un appareil dentaire comme tous les jeunes de mon âge. Et j’ai pu me vanter d’un sourire parfait pendant quelques temps. Mais au bout de plusieurs années, la nature a repris ses droits. Je préfère même dire que je n’ai jamais eu d’appareil dentaire. Le complexe est revenu.
Peu à peu, j’essaye de gommer cette gêne et vivre ma vie. Je n’ai pas cessé de rire pour autant, mais je bannis les photos de profil qui montre l’avancée de mes dents de devant, prête à mordre n’importe quoi. Sans pour autant me trouver plus jolie qu’avant, je me sentais mieux. Ce complexe disparaissait peu à peu parce qu’il est temps de se séparer de sa peau d’adolescente pour aller vers son corps de femme.
Puis j’ai rencontré mon amoureux. Insouciante, heureuse. Je me sentais belle dans son regard. Jusqu’à ce que je rencontre sa mère et qu’elle fasse un compte rendu de mon physique « Elle est jolie, gentille, fine. Pas de défauts ? Oh, juste ses petites dents en avant. » Et pan. Voilà que ça revient. Moi qui pensais en être débarrassée, apparemment, ça se voit plus que le reste. Si elle l’a vu au premier rendez-vous, ça veut dire que n’importe qui remarque qu’elles sont de traviole.
Je ne peux pas rester comme ça. Si ça se voit trop, autant faire quelque chose. J’ai pris rendez-vous chez l’orthodontiste que je consultais dix ans plus tôt, pour voir ce qu’il pouvait faire. Mais selon lui, rien d’alarmant qui nécessite une correction importante. Les solutions proposées – comme le fait de casser la mâchoire pour l’agrandir – sont assez atroces. Bref, j’épargne les détails, ça m’a choqué.
Pas le choix, je dois me rendre à l’évidence. Soit je passe par une intervention importante qui comporte évidemment des risques, sans être sûre à 100% que mes dents deviennent droites et parfaites. Soit j’assume toute la vie ces dents là, ce sourire. J’ai choisi la deuxième option. Je suis toujours gênée, en plus elles jaunissent sur le côté. Et je déteste toujours les photos de profil. J’ai parfois l’impression qu’elles avancent un peu plus chaque jour pour bientôt sortir de ma mâchoire. Mais ce n’est sûrement qu’une impression.
En attendant, j’ai décidé de continuer à sourire à la vie. Même si.
Po.