J’ai un mal fou à vivre dans cette enveloppe charnelle. Et c’est pas faute d’avoir essayé, sincèrement. Chaque fois je me fais violence, je me dis « merde, t’es pas si dégueulasse » mais y a rien à faire, que je pèse 45kg ou 65kg, c’est le même tas de graisse que je vois dans le miroir.
J’ai honte de moi, de la tête au pied. Honte d’être une maman grosse, honte de mes cicatrices sur le bras et la cuisse. Honte de continuer mes conneries d’adolescente, de ne pas savoir me débarrasser de mon penchant auto-destructeur. D’exiger de ma fille de ne pas faire de comédie alors que je suis moi même une pauvre petite gamine pleurnicharde.
Je sauve les apparences, je me fais passer pour une autre, du moins j’essaie. j’essuie mes larmes et je prépare le goûter de ma puce, on fait des dessins, on va au parc. Je l’amène à l’école, on prend le goûter toutes les deux sur un banc. J’essaie de ne pas rater son éducation, j’essaie de la rendre heureuse, je voudrais tant qu’elle ne souffre jamais. La moindre larme sur ses petites joues me fend le coeur.
Et quand je suis seule, j’essaie de ne pas sombrer. Et quand je vois que je péris, j’essaie d’être gentille avec moi même. Mais c’est difficile, c’est atroce de se haïr autant. Je me hais au point de me déchirer la peau, au point de me vomir ! Comment est ce que j’ai pu en arriver là ?!
Ce mal-être n’est pas sorti de nulle part, bien entendu. Mes parents ont divorcé quand j’étais petite, maman nous a pris sous son aile, et on s’est installés avec un homme, à l’autre bout du pays. C’est comme ça que j’ai passé mes 15 premiers printemps à voir maman se faire cogner. Entre autre..
Papa appelait, parfois. Quand il avait beaucoup bu, la première chose à laquelle il pensait durant ses soirées d’ivresse, c’était sa progéniture. Et donc il nous appelait. Aujourd’hui j’ai 27 ans et ça n’a pas beaucoup changé, hormis le fait que je ne répond plus à ses appels.
J’ai eu ma première expérience sexuelle à 7 ans. Ma vie amoureuse a été, ce soir là, réduite à néant avant même qu’elle n’ai pu naître. J’ai perdu toute confiance en l’homme, en moi même, plus rien n’avait d’importance, tout est devenu flou.
Depuis les choses ont évolué, dans le bon sens. Après plusieurs années à maudire mon corps et à laisser n’importe qui me toucher, me salir, j’ai rencontré le père de ma fille, qui m’a appris à m’accepter, à me respecter, à refuser un rapport sexuel, à ne plus avoir peur des hommes. Nous avons traversé un avortement tous les deux. Je suis la seule à en avoir souffert, et je lui en ai longtemps voulu. Aujourd’hui je comprends mieux ses réactions, j’apprends à faire le deuil de mon bébé, le temps a déjà bien apaisé ma peine. Je l’ai quitté au bout de 8 ans, car je n’étais plus amoureuse.
Aujourd’hui je suis avec un homme qui me correspond parfaitement, je crois. J’ai toujours peur de m’engager, je ne veux pas lui appartenir, je suis encore très farouche et je ne veux pas qu’il ait trop de pouvoir sur ma vie, mais l’amour est là. Il sait presque tout de moi, mes qualités, mes défauts, mes erreurs, mes faiblesses. Il me force un peu à consulter un psychologue, me répète sans arrêt, tous les jours, que je suis vraiment belle et que j’ai des formes magnifiques. Il s’inquiète pour moi quand il voit que je me suis encore coupée, il essaie de m’aider comme il peut. Je culpabilise et j’ai parfois tendance à me voir comme un boulet dans sa vie, et à me dire qu’il mériterais une femme, une vraie, une normale. Mais il m’a choisie, je l’ai choisi, il me rend heureuse, alors j’essaie de le rendre heureux comme je peux. On passe beaucoup de temps ensemble, on rigole énormément, il me fait vraiment rire, avec lui je sais que je suis belle. A ses yeux, je suis belle, quoi que je fasse. A mes yeux il est merveilleux, il est grand beau et fort. Il est doux et patient. Et surtout, il aime ma fille comme si c’était sa propre fille.
L’année dernière j’ai obtenu mon permis, je n’y croyais pas… quelques mois plus tard j’ai trouvé un appartement de rêve, un travail… je suis de plus en plus confiante. Je me suis sentie vraiment bien ces derniers mois, c’était une victoire d’avoir pu réaliser tout ça, toute seule. Mais pour que mon bonheur soit complet, je dois me faire aider par un psy. Je voudrais me sentir libre, je voudrais apprendre à recevoir les émotions, les laisser venir, et les laisser repartir, en douceur. Ne plus avoir les mains pleines d’hématomes à force de m’énerver contre les murs, ne plus avoir la cuisse recouverte de coupures. Pour l’instant ma fille ne se rend pas compte que sa maman va mal. J’arrive sans aucune difficulté à lui cacher mes blessures, intérieures comme extérieures, et à lui apporter tout l’amour dont elle a besoin, je ne me lasse jamais des câlins et des bisous, tout le temps, chaque fois que ma fille croise mon chemin, à la maison ou ailleurs, je lui répète comme je l’aime. Mais un jour elle finira par avoir peur de moi… Parce qu’il y a dans ma tête un truc qui tourne pas rond et je dois absolument me sortir de là, pour elle, pour moi, pour mes proches.