Mon accident

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Avril 2004 – Je travaille dans une supérette. Je viens d’arriver, je vois le patron monter une étagère.

Un peu plus tard il me demande de la remplir. Je monte sur un tabouret, je range des cartons de vaisselle petit à petit. Au dernier étage de l’étagère, tout s’écroule, bascule, se renverse, m’entrainant. Je tombe, je crie, j’ai mal je ne comprends pas encore, on me dégage et on appelle vite les pompiers.

Je m’assoie sur un siège de caisse, je regarde mon pied gauche, qui pend littéralement, complètement tordu vers l’intérieur, en tremblant sur lui même. Je ne m’évanouis pas.
Fracture grave de la cheville et luxation.
Quand on te réduit une luxation, sur une fracture, comme ça, comme dans les films, te te rappelles longtemps de ta douleur.

Je suis hospitalisée 15 jours, c’est long. J’ai une première opération. Quand les médecins chirurgiens viennent me voir, je pense qu’ils vont m’annoncer une bonne nouvelle, que je vais bientôt sortir.
Et bien non, c’est une fracture grave, l’intervention n’a pas été suffisante. Nouveau rendez-vous pour le bloc programmé.
Après la première, deux autres opérations pour rattraper seront nécessaires. A chaque fois je me fais prendre au piège de l’entrée du staff dans ma chambre, je suis déçue, je craque. Les infirmières me disent de ne pas pleurer.
Trois voisines de chambre se succèdent.

Jusqu’à la 3e opération, je suis complètement immobilisée. J’ai un plâtre qui pèse très lourd, je ne peux pas bouger, me lever, aller prendre une douche, aller aux WC. Au début, c’est dur, de sonner pour pisser, de sonner pour que l’infirmière vienne chercher le bac dans lequel j’ai fait caca. De se laver au gant de toilette pendant 8 jours. De pleurer de joie quand un aide-soignant me lave les cheveux dans une bassine. De devoir montrer son corps nu, comme il est.

De ne pouvoir bouger, je n’en peux plus, je fais une crise de nerf, je crie, je pleure, je me secoue, puis je me calme et m’endors.

Trois anesthésies générales, de la morphine. Mon corps en prend plein la gueule.
Ravier dents de lion : c’est le nom d’un des outils utilisé pendant mon opération, ça fait flipper hein !

Le soir je n’arrive pas à m’endormir car j’ai trop faim. Les repas ne sont pas terribles.
Mon cousin ainsi que mon amie et ses copains viennent me voir. Les visites, y’a que ça de vrai quand t’es à l’hosto, rappelles t’en toi qui ne prends pas le temps d’aller voir ta grand-mère ou ta tante handicapée. Et ce qu’ils amènent, soyons honnête : nourriture de l’âme – livres – et chocolat noir.

Quand mes opérations sont terminées et l’atèle en résine posée, on peut me promener en fauteuil. Avec mon redon accroché en bandoulière. Vision de ce sang noir, faut pas être sensible. Prendre l’air dans le parc de l’hôpital une pizza sur les genoux, respirer l’air pollué du boulevard Magenta, prendre un mauvais café dans une brasserie populaire. La vie quoi.

Pendant mon hospitalisation mon employeur ne m’aura pas fait livré de fleurs, ne sera pas venu me voir à l’hôpital qui est à 15min de la supérette à pied, ne m’aura pas téléphoné pour prendre de mes nouvelles.
Quand je sors je fais 45kg toute mouillée, mes jeans ne me tiennent plus à la taille, et mon cousin va m’acheter deux t-shirts en urgence sur le boulevard.
Quand je sors un cocon de douceur et d’attention m’entoure à nouveau. Je reste quelques jours chez mon amie. Je déménage dans un appartement en colocation, soyons folle au 8e sans ascenseur. J’apprends à me déplacer et à me débrouiller seule avec mes béquilles. Parfois la solidarité : on me laisse la place dans les transports en commun, des mecs me portent dans les escaliers du métro.

Je souris à nouveau. Je décide de rentrer chez moi en province, de redémarrer ma vie là où je l’ai quittée. Avec ma fille. Je vais la chercher.

Tout n’est pas simple. Je vis quelques jours chez mes parents puis je prends un appartement seule avec ma fille. Je n’ai jamais vu un enfant d’un an et demi aussi compréhensif qu’elle. Jamais elle ne s’est sauvée. Elle marchait au pas, se tenait à ma béquille pour traverser. On allait faire les courses à pied ensemble, moi avec mon sac à dos blindé, elle accrochée à ma béquille. J’apprends qu’être handicapée n’est pas simple au quotidien et que tu transpires pas mal pour te démerder seule.

Je suis en accident de travail pendant plus de 2 ans. Deux ans pendant lesquels officiellement, tu ne fais rien, tu attends qu’un médecin conseil te dise que tu peux vivre, reprendre une activité. Mais je ne peux pas attendre. Je me fais moi même mes piqûres dans le bide comme une grande, j’abandonne un traitement dont les effets secondaires me causent nausées et bouffées de chaleur. J’ai envie de vivre normalement. Comme médicaments et alcool ne font pas bon ménage, je préfère ne pas prendre d’anti-douleur et boire une bière de temps en temps.
Je n’ai pas le droit de poser le pied, je peux sentir la pointe de ma broche à fleur de talon. Je retourne à Paris où on m’enlève mes broches. Autre AG.
De retour chez moi, on me diagnostique une algodystrophie : ma cheville se raidit, j’ai des sensations de chaud-froid, des douleurs. Les visites chez le kiné rythment ma semaine. La douleur est mon quotidien, la débrouille mon crédo. Je me déplace aisément. Ma fille est hyper autonome.
Tant pi pour la Sécu, je retourne à la fac, termine ma licence. Qui mettrait sa vie en pause pendant deux ans ?
Mon état devient stable, je remarche, longtemps avec deux béquilles, puis une béquille, puis sans. En boitant, puis normalement. Sauf quand j’ai trop mal.

Mais ma cheville est foutue. J’ai toujours des broches, et je garde une douleur quotidienne, qui s’accentue dès que je fais trop d’activité, que je marche trop. Alors ma cheville se raidit et je ne peux plus marcher, il me faut une cane pour mettre un pied devant l’autre. Souvent c’est le soir, alors personne ne le voit.
Tout le monde a plus ou moins oublié cette période de ma vie. Ce handicap ne se voit pas donc très souvent je l’assume seule. J’ai pourtant une reconnaissance de travailleur handicapé. Que je ne mentionne pas. Mais c’était important pour moi cette reconnaissance.
J’ai aussi mené une action contre mon employeur, qui n’a pas été jugé responsable, qui a menti sur les circonstances de l’accident. Souviens toi le jour où tu es au bord de l’inconscience avec ta fracture qu’il faut prendre des photos et recueillir des témoignages. Sinon t’es baisé.

Toutes ces démarches administratives et juridiques étaient nécessaires, mais elles m’ont beaucoup déçues et déstabilisées. Tu te retrouves face à des gens pour qui tu es un pourcentage d’invalidité, un N° de Sécu, un N° de dossier, tu perds ton humanité et tu chiales ta race sur le banc du Tribunal des Affaires de la Sécurité Sociale parce que t’as posé un jour de congé, fais une heure et demi de transport, fais garder ta gamine pour assister à ton audience et qu’évidemment, ton employeur est représenté par son avocat, et que l’affaire est reportée. Tout cela a duré 7 ans.

Ça peut paraître fou mais cet accident est arrivé à un moment de ma vie (dépression, séparation et exil) où j’avais besoin d’un coup de pouce/coup de pied au cul/ bonne grosse claque de cow-boy (au choix hein). Donc c’est arrivé au bon moment en fait. Je dirais même que l’hospitalisation a été un sas dans ma vie, mon accident une étape.
La page est tournée de l’évènement, restent les blessures, qui font partie de mon corps, que jamais je n’ai cherché à cacher.
Après ça je me suis reconstruite physiquement, moralement, affectivement. Et maintenant, malgré ma douleur, malgré les escaliers montés sur la pointe des pieds, malgré les kilos accumulés, le fait que je ne pourrais plus jamais faire de patins à glace, du roller avec ma fille, apprendre à skier, porter des chaussures à talon, courir après mon fils, sauter à cloche pied, faire de la corde à sauter, ou une randonnée, malgré le fait que je ne sais pas de quoi mon futur est fait et comment je vieillirais dans ce corps déjà abîmé et souffrant, enfin je suis heureuse et j’ai une vie normale.

N.

Mon corps, mon combat contre les autres

Bonjour,

Ça y est après de longues heures d’hésitation j’ai décidé de me lancer et de me montrer telle que je suis ! Donc voici mon texte et mes photos pour le blog et merci pour cette belle idée:

Parfois, j’aimerais être un homme, pour ne pas subir le dictat du corps parfait ! Sur un homme une petite bouée ça rassure, ça réconforte, on aime s’y blottir … chez une femme ça perd tout son charme et pourtant …

Il y a peu, les canons de la beauté étaient bien en chair ; un bassin large était un signe d’extrême féminité (mais peut-être était-ce parce que à cette époque une femme était avant tout une mère ?!).

Mais à notre époque, c’est quoi être belle ?

 

Si c’est ressembler à ces mannequins longilignes, assexués, déformés par les logiciels de retouche photo que l’on voit dans les magazines, alors je ne veux pas être belle !

Si c’est être heureuse, avec et malgré son corps, alors je suis en train de le devenir …

 

Depuis longtemps j’essaie de vivre avec mon corps, ce corps que je traîne comme un fardeau dont il m’est impossible de me débarrasser. Mon histoire de désamour avec cette part de mon être a commencé très jeune, trop jeune sûrement, à une époque où le souci principal devrait être de trouver le moyen de convaincre ses parents de nous offrir un chien …

 

Tout d’abord il y a eu mes pieds mal formés à cause d’une croissance trop rapide ce qui m’a obligé à porter des chaussures orthopédiques, mes « chaussures d’handicapée » comme mes « camarades » disaient. Je me rappelle m’être faite frapper par un « grand » à cause de ça ! Cruauté éphémère qui laisse pourtant une trace indélébile …

 

 

Ensuite, il y a eu ma taille : 1m72 à 12 ans ça ne passe pas inaperçu (heureusement pour moi ma croissance s’est arrêtée là) !! Pas facile de plaire aux garçons quand on fait une tête de plus qu’eux et que commence doucement à pointer un mal être qui ne fera que grandir au fil du temps pour finir par occuper la place du moteur de ses décisions !

 

A 10 ans : très facile de me retrouver !

 

Puis vint le problème de la poitrine. Ce symbole actuel de la féminité, je l’ai espéré … pendant des mois … des années. Ce n’est qu’à 20 ans que j’ai enfin eu quelque chose qui me convenait, des seins bien ronds et fermes ; enfin je pouvais arrêter de penser à la « planche à repasser » et aux autres colibets !

 

A 16 ans

 

 

 

Il y a également mes chevilles (un de mes nombreux héritages de famille). Ces deux poteaux difformes mal dessinés, à peine différenciés de mes mollets, ces deux masses qui m’empêchent de porter les chaussures que j’aimerais, qui me donnent des jambes identiques à celles de ma grand-mère. Quand je les regarde j’ai l’impression d’être un cheval de trait au milieu de pur-sang arabes !

Mes poteaux télégraphiques !

 

 

 

Le temps passe et puis on part, on fuit, vers la ville, vers un monde peuplé d’anonymes où personne ne s’intéresse à son prochain, où personne ne connait son voisin.

 

Là je me sens à ma place loin des miens.

Mais les blessures profondes d’une enfance difficile son

t malgré tout là et vient alors le problème du surpoids qui s’aggrave à chaque contrariété, à chaque critique. Peu à peu chaque partie du corps se modifie au point qu’on ne se reconnait plus … et l’amour, le soutien d’un conjoint n’y changent rien : le problème est ailleurs, caché derrière un besoin de reconnaissance filiale qui ne vient pas malgré les tentatives.

 

C’est alors que se produit une chose inattendue, un petit être a décidé de s’immiscer dans notre vie. Petit à petit il grandit au sein de ce corps qu’on ne peut supporter et c’est là que se produit le plus grand changement : je suis enfin devenue femme, je suis devenue mère.

 

Mes seins que j’avais tant espérés portent les traces de ces mois d’allaitement, de ces moments partagés où pour la première fois j’ai senti que j’étais indispensable à quelqu’un. Peut importe leurs vergetures et leur relâchement : c’est la marque que j’ai nourri, protégé un petit miracle, ma chair, mon sang …

 

Mon ventre est vide à présent, marqué, flasque, tombant, mais c’est un mal nécessaire ; il a fallut faire de la place pour notre ange, pour qu’il grandisse pleinement pendant ma grossesse.

 

Les kilos qui 9 mois après mon accouchement refusent de partir sont les réserves que mon corps a faites pour que d’un petit haricot je fasse un magnifique petit homme.

 

Me voici donc maintenant …

 

J’étais (je suis encore parfois) une cible pour qui voulait me blesser : incapable de répondre aux brimades, les gens ne voyaient pas ma détresse. Si avec le temps je suis devenue associale c’est pour ne plus souffrir, ne plus être déçue (surtout par ceux que j’aime) !

Mais maintenant les choses changent ! Oui, maintenant je suis déterminée à gagner la guerre, ma guerre, et à vivre heureuse telle que je suis, envers et contre tous !

Chaque jour est pour moi un combat contre les moqueries d’un temps oublié, contre une société formatée qui stigmatise les rondeurs, contre une famille intolérante … mais je m’accroche parce que j’ai trouvé ma voie : j’ai maintenant deux hommes merveilleux dans ma vie !

Cheville reconstructrice et ventre immaculé…

Cette femme existe comme un tout et non comme des parties, elle l’a compris un jour en brulant sa cheville dans un hammam. Elle vous montre sa cheville parce qu’elle en est fière. Cette cheville brulée au 3ème degré, 6 semaines de souffrance absolue, de décollage des nécroses au scalpel, millimètre par millimètre. Tous les soirs la visite de son infirmier, bien plus que cela. Un travail d’orfèvre, les mots qui soulagent quand la douleur devient intenable. Et surtout l’acceptation du corps meurtri :  » si tu veux guérir tu dois la regarder cette cheville. Elle a souffert, elle ne mérite pas en plus que tu la rejettes. Elle fait partie de toi ». Enfin mon regard accepte de se poser sur cette partie de moi, de voir les chairs à vif et presque comme un miracle la cicatrisation… au-delà de toutes les espérances. Plus encore c’est le début d’un long cheminement vers une autre vie professionnelle qui fera d’elle une thérapeute.

 

Cette femme encore. Son ventre est plat et lisse, cette fois il n’affiche pas de cicatrice à l’exception de l’exérèse d’un gros grain de beauté. Il n’a jamais donné la vie et pourtant elle est maman. Sa cicatrice elle est au fond du coeur et au fond de ses tripes alors faute de scan cardiaque et d’écho elle vous montre son nombril. Son nombril immaculé à l’extérieur, ses tripes ravagées à l’intérieur par les colites. Et ce jour où sa fille est née d’un autre ventre, ce jour où elle n’était pas à ses côtés, comment aurait-elle pu savoir ? Ce jour là elle avait écrit dans son journal  » je n’ai pas pu me rendre chez M… car j’étais pliée en deux, parcourue de douleurs et de spasmes nous avons du rentrer à la maison et j’ai du m’allonger.

Depuis elle s’est levée la nuit pour réconforter sa fille, le matin pour les biberons, elle a peur pour elle, et surtout elle rêve pour elle.

Elle est une maman pour de vrai comme son ventre ne l’indique pas.