Je dois le reconstruire, faire attention à ses fêlures, aux murs qui se fissurent, au plâtre qui s’effrite, contrôler l’accès de ceux qui le visitent. Je dois le caresser, le toucher, me faire l’amour, être douce, et puis brutale si je l’ai choisi, le chérir.
Ca n’a pas toujours été le cas.
On dit qu’après un abus il est difficile de refaire confiance, de se laisser à nouveau caresser embrasser lécher visiter. Que c’est difficile de reprendre du plaisir, de ressentir à nouveau du désir, que la colère et la tristesse bloquent le passage du laisser-aller et de l’amour des corps.
Je veux pas.
Je ne veux pas.
Je ne veux plus.
Je refuse de pardonner cet abus mais je veux l’accepter. L’accepter pour avancer, pour laisser à nouveau quelqu’un qui me plait au moins un peu, que j’aime peut-être, que je désire surtout, me toucher sans qu’une boule se serre dans ma gorge parce que je ressens encore et encore et encore la même culpabilité et la même peur. Culpabilité de l’avoir laissé faire, peur de la peur, qui entraîne à nouveau la peur -cercle vicieux.
Je suis calme. Devant mon écran je suis en tailleur.
Pourtant il faut que j’arrête ces petites choses qui laissent entendre, entrevoir, qui se souviennent de ce lundi après-midi de décembre.
Les peaux rongées jusqu’au sang. Les gerçures que je gratte sans m’en rendre compte. Mes lèvres fendues, les peaux dessus que je tire. Ma gorge serrée, douloureux rappel de mon sexe ce jour-là. Mes mal de ventre sans raison. Les bouffées de chaleur dans les grands magasins. Les démangeaisons partout. La respiration qui s’accélère, qui parfois se bloque.
Je suis mon corps, je suis ma tête. Mes principes, mes idées, mes idéaux, mes valeurs, mes convictions, mes envies, mes besoins, mes désirs, mes tortures, mes névroses, mes traumatismes. Je suis une personne. Une personne consciente et qui décide de son consentement, de ce qui lui arrive. Une personne avant d’être une jeune femme qui a souffert de son appartenance au sexe faible.
Il s’est trompé. Je suis du genre de ceux qui sont forts, je suis de la race de ceux qui se relèvent, je suis de l’espèce des tenaces et des accrochés vifs.
Je suis des chiffres : 17 ans, première fois à 14 ans et demi, 6 partenaires, 2 ruptures, 1 abus, 100 rumeurs -sans rancœur.
T’as pas tout pris. Tu m’as pas laissé sur le bas-côté. J’existe aussi, mon corps ne t’appartiens pas, il ne t’as jamais appartenu, je te l’ai prêté une fois, tu as transgressé mes interdits silencieux et mes règles tacites une autre fois.
Mais je suis.
Je ne tolère pas.
Je ne t’aime plus.
Tu as souillé mon corps mais il existe encore, mes sens attendent le signal pour s’emballer follement à nouveau sous les caresses d’un autre, quand je l’aurais choisi, quand j’aurais décidé que ma pause a assez duré.
T’as pas tout pris. Me restent encore les mots.
Et mon propre corps que je chéris.
Les cauchemars lancinant qui résonnent sans cesse, au-delà des saccades du cœur, après quarante ans, s’ils ne s’estompent pas rythment le malheur…
Penser à l’Eden quand le berceau se meurt,
L’antre de l’averti, le soumis sédentaire,
Qui rêve de nuit odorante, de chaleur,
Découvre l’image cambrienne de ses terres.
Suivre l’aeschne courant la lueur,
Dans l’affêterie des formes douteuses,
L’inconnu affidé affronte l’honneur,
L’imaginaire sondé de la sagesse pieuse.
Danse le malhabile, le timide indécent,
Qui n’osera jamais, ne bravera point,
Chantant l’écholalie des derniers instants,
Divine rêverie qui le transporte au loin.
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