Les barrières du corps

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Comment est-ce qu’on raconte le corps ?
Comment met-on des mots sur des maux ? Comment écrire pourrait suffire pour dire, pour expliquer, pour montrer ? C’est en tous cas un début.
J’ai moins souffert que la plupart des femmes qui ont témoigné ici. Mais je dois parler des barrières de mon corps. C’est nécessaire, je crois.
J’ai 8 ans et je m’assois sur le canapé en demandant à ma mère ce qu’est le sexe. Elle m’explique, elle prend le temps. Ce n’est pas un tabou.
J’ai 11 ans et je tombe amoureuse. Je suis la bonne élève invisible, celle qui n’existe pas. J’aime de loin, cachée derrière mes cahiers et ma frange de petite fille sage.
La vie passe sans encombres. J’ai 15 ans et mes règles arrivent enfin après des mois/années d’attente. Je suis « normale ». Enfin.
J’ai 16 ans et un garçon pose enfin les yeux sur moi. Les mains aussi, au bout de quelques temps. Il est gentil, patient, adorable, compréhensif. On s’aime. On prend le temps. Il a envie de moi. J’ai envie de lui. Dans le lit, au fond de la nuit, sa main glisse jusqu’à mon entrejambe. Lentement, délicatement, amoureusement, il tente de passer mais rien ne passe. Blocage total. Arrêt à la frontière. L’envie est là, le corps ne suit pas.
Le temps passe. Des mois. Des années. On retente. On essaye. On est fatigués. Quand je lui propose d’insister malgré la douleur insurmontable, il refuse. Il a raison. Je consulte un gynéco. RAS. Tout va bien. « La première fois ça fait un peu mal, c’est normal. » On ré-essaye. On est littéralement à deux doigts de réussir mais c’est impossible. C’est une douleur trop forte. C’est plus fort que moi. C’est incontrôlable. Je scrute les sites internet, les forums, tout et n’importe quoi. Est-ce que quelqu’un peut m’aider ? Est-ce que je suis la seule à être anormalement normale ?
J’ai 18 ans et je comprends. « Vaginisme ». Une fois que le mot est prononcé, plus rien n’est pareil. C’est médical. C’est involontaire. C’est hors de moi. Ce n’est pas « ma faute ». Je subis.
J’ai 19 ans et je consulte un sexologue. J’entame une thérapie. Je progresse un peu. J’arrive à mettre des tampons. Mais sexuellement je suis toujours aussi désarmée. Mon copain est toujours à mes côtés. Il me soutient. M’aide. Me comprend.
Jusqu’au jour où il ne peut plus. Jusqu’au jour où c’est trop lourd à porter. Où ça fait trop longtemps. Il me quitte et j’ai la sensation d’être abandonnée par l’intimité-même.
J’ai 20 ans, un cœur en miettes et un corps bancal. J’ai 20 ans et je suis vierge. Probablement pour longtemps encore. J’ai 20 ans et je vois ma vie me passer à côté.
Lentement j’accepte l’idée de solitude. Je porte ma douleur toute seule. Je porte ma honte toute seule. Je porte mon malaise toute seule. J’en parle à des amies mais qui pourrait comprendre ? Comment expliquer ? On ne peut comprendre que si on le vit. Je lis des mots qui font mal : « psychologique », « faire des efforts », « chochotte », « prude », « responsable ». Des mots qui heurtent mes sentiments. Mon corps m’a abandonnée, je décide de l’abandonner à mon tour. Je ne fais plus les exercices de mon sexologue. J’arrête tout. Quel intérêt, puisque personne n’est confronté à mon problème ?
Puis j’ai 21 ans et je retrouve quelqu’un. Je murmure mon lourd secret tard dans la nuit sous une couette épaisse, avec une porte ouverte pour qu’il puisse s’enfuir. Il ne part pas. Il reste. Il dit qu’il attendra. Qu’il restera. J’ai du mal à le croire mais lui le croit, pour le moment. C’est tout ce dont j’ai besoin.
J’ai repris mes exercices. J’ai recommencé à appréhender mon corps. J’ai recommencé à croire.

 

Ce site est une pépite. Merci. À toutes les filles/femmes qui vivent cela : vous n’êtes pas seules. Personne n’en parle. Beaucoup, même des professionnels, en parlent mal, maladroitement. Mais vous n’êtes pas seules. Nous sommes beaucoup à combattre ce mal intérieur de l’extérieur. Nous ne sommes pas responsables. Nous ne sommes pas douillettes. Nous avons mal. Mais nous nous en sortirons. Ça prendra du temps et de l’argent, ça volera du sommeil, ça mettra mal à l’aise, ça tirera les traits et ça demandera beaucoup. Mais un jour, on en viendra à bout.

CaptainV

6 réflexions au sujet de “Les barrières du corps”

  1. Très touchée par votre témoignage, si émouvant, sincère et si bien écrit. Bravo pour votre courage et surtout pour cet espoir que vous apportez aux femmes, atteintes du même mal. Ne surtout pas avoir honte, aucune notion de faute…
    Un jour, vous y arriverez, je vous le souhaite de tout cœur

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  2. tu vois je lis, je comprend, j’imagine ce que tu dois psychologiquement ressentir et aussi le mal que tu as a ce moment là, mais, une chose que je pense ou tu prend le mauvais chemin, et c’est pas ta faute, car je comprend ce sentiment, c’est le mot honte, donc, déjà tu dois essayer d’avancer la , tu sais c’est normal de se sentir pas comme les autres lorsque l’on a quelque chose qui n’est pas dans la normale des choses, pfff j ecris pas tres francais, bref,
    essaie d’oter cela je pense que déjà cela va avancer dans ton corps avec car cela fait aussi un blocage en lui
    tu ne t’ouvres pas,
    donc, dis toi vaginisme, ok c’est pas top , c’est difficile a vivre, mais c’est pas ta faute, et la honte vis a vis des autres tu laisses tomber, car personne ne sais ta vie intime, ensuite que tu es honte lorsque tu rencontres quelqun je comprend, mais otes le mot honte, et met plutot apprehension, peur que l’autre ne comprenne pas, ok , c’est un peu plus logique, mais franchement non non pas la culpabilité ca va empecher ton corps d etre receptif,
    il te faut aussi bien du calme, et c’est pas definitif cette histoire, j’ai une amie depuis petite a cause d’un viol, elle pouvait pas c’etait fermé et douloureux, et elle a fait un tour chez le psy et ensuite elle a vu aussi comme toi un specialiste, je peux te dire que je l’ai vu pleurer, et elle m’a raconté cela qu’à moi, car idem pour les autres, bon,

    alors moi je te dis, tu as des hauts des bas dans le moral et desfois on supporte plus ce qu’on a, alors dis toi c’est normal ta le droit aussi d etre mal

    ensuite des que tu remontes le moral, hop profites en, continue les exercices essaie de pas flancher, essaie toi aussi des choses sur toi, bref, ne t’enerve pas absolument, je suis certaine avec l’aide medical, cela va se faire, et aussi avec un bel amour véritable, tu verras, surtout des que tu rencontre un garcon, pas de panique qui bloque aussi le truc, essaie la respiration pour se detendre, laisse pas ta tete cogiter, style oui mais si il me demande etc etc, essaie de retrouver un naturel, certe avec un souci feminin pas marrant,

    tu verras apres, cela va etre super bien, , donc, toi, je te dis, va dans le sens de soigner ton corps, je te souhaite une belle histoire d’amour, cela va arriver plus vite que tu ne le crois ,

    bises, je suis pas d’un grand reconfort peut etre car faut se mettre dans la peau de l’autre et on ne le peut jamais vraiment, mais prend tout de meme un peu d’energie de ci de la, laisse pas tomber tes soins,

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  3. Bonjour,

    Bon je suis un mec donc peut-être que je serai à côté de la plaque. La lecture de ton témoignage soulève quelques remarques.

    Tout d’abord, je ne crois pas que tu dois avoir honte. Tu n’as pas choisi et tu fais de ton mieux pour vivre et construire ta vie sexuelle et ta vie tout court.

    Mon autre réaction, c’est que le plaisir sexuel ne passe pas seulement par la pénétration. Donc même si ce n’est pas possible pour le moment d’avoir ce type de rapport, tu peux toujours chercher à avoir du plaisir différemment. En connaissant et en comprenant mieux ton corps, peut-être réussiras-tu à l’aimer et à mieux vivre avec ta différence. Et puis , rien n’est figé, donc peut-être que ta condition évoluera positivement dans le futur ou disparaitra.

    Plus haut, tu utilises le terme de « vierge » mais il me semble (même si c’en est la définition) que l’on peut ne plus être vierge (dans sa tête en tout cas) sans nécessairement avoir eu de rapport complet et vice versa.

    En tout cas ne baisse pas les bras! Courage!

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  4. Bonjour. Je suis la fille qui a écrit l’article.
    Merci pour votre attention, vos mots, votre soutien.

    J’ai parlé de « honte » parce que même si je sais pertinemment que je ne suis pas « coupable », ça reste très gênant comme situation, surtout face aux personnes qui se trouvent confrontées à ce problème.
    Aujourd’hui comme je l’ai dit j’ai repris mes exercices. Et je vis une sexualité plus ou moins épanouie avec mon copain, malgré cette barrière plutôt tenace. Je pense même que, dans un sens, ça nous a rapprochés. Quoi qu’il en soit c’est une situation difficile, mais pour l’instant, pas question d’abandonner.

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