Mon corps.
Ce vilain corps, lourd, encombrant, qui tire, qui grince, qui serre qui pique, qui mord. Ce corps que je déteste parce que c’est ce qu’on m’a appris à faire. Ce corps qui a été beau, à l’époque où je ne m’en rendais pas compte.
Ce corps avec qui j’essaie de me réconcilier.
Comme tous les corps, il a son lot de cicatrices. Un ongle de pied coupé en deux. Une trace blanche sur le genou. Des tâches brunes sur les bras. Une longue fente sur l’arcade sourcilière. Et puis, il y a les cicatrices qui ne se voient pas. Les cervicales qui souffriront toute leur vie, les lombaires qui grincent, la sciatique qui menace, souvenirs d’un accident de voiture. Les hanches qui lancent leur petit cri, par moments. L’utérus qui pleure.
Longtemps, il a pleuré d’être vide. Il a réclamé, à corps et à cri, un petit être à chérir, un habitant pour la douillette chambre qu’il avait fabriquée. Longtemps, je n’ai pas pu répondre à son cri.
Cet été, j’ai aimé ce corps. Pendant 2 mois, je l’ai regardé changer de l’intérieur, même si rien n’était perceptible. J’ai commencé à le voir comme le merveilleux réceptacle d’une vie toute neuve, toute propre, toute belle. J’ai aimé mes seins, si lourds d’habitude, qui s’arrondissaient joliment, même si mes soutiens-gorge ne voyaient pas la différence. J’ai aimé mon ventre, si plein de couches protectrices, qui devait veiller sur ce petit bout de nous. J’ai aimé ma peau qui se constellait de boutons, signes de changement hormonal. J’ai aimé mes cernes, discrets révélateurs de mes nuits agitées. J’ai aimé ma pâleur, mon sang tout entier attiré vers ce ventre nourricier. J’ai aimé les petites cicatrices laissées sur la seule veine propice aux prises de sang, au creux de mon coude.
Nous avons commencé à nous réconcilier.
Et puis, il m’a trahie. De la pire façon qui soit. Peut-être a-t-il voulu se venger de ces années de haine, de colère, de ressentiment. Peut-être s’est-il senti pris de court. Peut-être que ça allait trop vite pour lui, lui qui est si lent à se mouvoir. Et pendant 2 autres mois, il a souffert. Mes seins ont chuté. Mon ventre a hurlé, s’est tordu en tous sens. Mes cernes ne révélaient plus que les nuits passées à pleurer. Ma pâleur n’était plus qu’un symbole de mort. Le sang nourricier s’est écoulé, sans discontinuer. Et ma vie, ma joie, mon bonheur avec lui.
Mon corps qui avait réclamé une vie à aimer a tué mon bébé. Aujourd’hui, ce ventre ne peut plus que simuler, quand je le gonfle d’air. Je le regarde, je l’observe, j’essaie de l’écouter. Mais il ne fait qu’hurler sa vacuité. Il ne fait que me rappeler ma douleur, ma souffrance. Notre douleur, notre souffrance. Je ne suis pas encore capable de lui pardonner. Et pourtant, il faudra bien. Il faudra bien ajouter cette cicatrice à celles que je dénombre. Il faudra bien surmonter, faire avec, oublier.
Il faudra bien nous réconcilier.
Tant de colère et de peine dans tes mots… J’ai peur d’être maladroite, de ne pas savoir trouver les mots… Ton corps ne t’a pas trahi, tu ne dois pas le rendre responsable de la perte de ce petit bout tant attendu.
Je comprends ta colère, je comprends bien évidemment ta tristesse… Mais aucune maman ne peut être responsable de la perte de son bébé !!!
Je suis sure que tu n’as absolument pas envie d’entendre que le temps fera son œuvre, mais pourtant seul celui-ci pourra adoucir ta peine et t’apprendre à te réconcilier avec celui que tu haies tant aujourd’hui.
J’avais lu une fois qu’accepter de donner la vie, c’est aussi accepter de donner la mort, c’est terrible la 1ère fois qu’on lit ces mots, mais malheureusement, c’est la vérité. On ne sait jamais comment peut se passer une grossesse. la plupart du temps, tout va bien, et d’autres fois, cela finit mal, mais en aucun cas la maman ne peut être tenue responsable de ce qu’il se passe. La vie est ainsi faite, et ça me fait mal aux tripes à chaque fois que je lis le témoignage d’une maman qui a vécu ce que tu traverses en ce moment car quoi que l’on en dise, on ne peut accepter l’inacceptable, il faut malheureusement apprendre à vivre avec et à continuer sa route.
Je suis sûre qu’une nouvelle vie viendra bientôt se nicher au creux de ton ventre, la peur sera sûrement là elle aussi mais j’espère que d’ici là, tu auras fait la paix avec toi-même et que tu auras prix conscience que ton corps n’est pas responsable de ce malheur.
Avec toute ma tendresse,
Bénédicte.
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